À propos de l'autrice
C’est intime, mais ce n’est pas personnel.
C’est guidée par cette nuance théorique et existentielle que Zoé Bernardi s'aventure, caméra à la main. Après des études littéraires, la découverte de l’image fixe et mouvante vient bouleverser son rapport au monde et elle intègre en 2019 les Beaux-Arts de Paris au sein de l’atelier Clément Cogitore et Hélène Delprat. Elle se forme aux procédés analogiques dans lesquels elle se spécialise ainsi qu’à l’audiovisuel, techniques privilégiées pour appréhender et collaborer avec autrui. À la manière d’une antenne, elle s’est fait réceptacle des expériences que les gens lui offrent, tout en tentant de leur conférer une forme. La question de la marginalité l’obsède, c’est donc tout naturellement que Zoé Bernardi s'est tournée vers son cercle communautaire proche, vers les minorités sexuelles, sociales et de genre, les monstres qui n’en sont pas. Comme le dit Michel de Certeau dans L’invention du quotidien, il faut « travailler avec ce que l’on montre, sans pouvoir le dire ». Il faut donc travailler avec l’invisible sans pouvoir le montrer, sous peine de le vider de son sens. En s’intéressant aux corps et les enjeux qui gravitent autour de lui, des stratégies de déconstruction sont adoptées; en partant du sien, elle se met nue, geste primat qui met sur la voie d’une solennité vulnérable, laissant les corps s’exprimer. Le face à face flirte à la limite du ridicule, du supportable ou du voyeurisme, autant d’intentions qui permettent d’invoquer l’indicible.
Zoé Bernardi n’est ni photographe, ni vidéaste, ni performeuse. Phénoménologue, c’est-à-dire : au monde et à l’autre. Ses images, en revanche, sont performatives. Elles pourraient être rapprochée de l’action photographique pensée par Michel Journiac, afin de penser l’image par la situation et l’expérience et non pas depuis l’objet. C’est par la création d’images que la relation est extériorisée, réifiée et appelle à la prochaine, à mesure que le Nous se construit jusqu’à s’aboutir dans l’évènement : la réunion joyeuse, le lien social vital et primaire. Car il s’agit bien d’un Nous : la pratique de l’autoportrait, qu’elle soit imagée ou textuelle, ou la documentation de sa famille témoignent d’une même rigueur protocolaire appliquée à tous ses sujets. Par des allers-retours entre l’intime à l’extime, de la maîtrise à la perte de contrôle, de la délégation de l’image, les enjeux de pouvoir s’exacerbent et s’apaisent tour à tour. S’il est communément admis que la photo est lutte, perdue d’avance contre l’oubli, c’est une fenêtre sur l’avenir que Zoé Bernardi veut ouvrir. De la prise de vue, à son développement jusqu’au tirage, du tournage à l’étalonnage, la production d’image relève du rituel, pour protéger et se protéger. En se confrontant à l’autre, elle tente d’engager une relation au-delà du verbe, une relation politique, artistique et humaine.